LES DEUILS EN MATERNITÉ

 

 

ASINCOPROB de Bourg-en-Bresse du 23 Septembre 1998

Mme Martine FRANÇOIS - Psychothérapeute

 

 

En temps que sages-femmes, sommes-nous bien préparées pour affronter la mort, et accompagner les personnes dans le deuil d'une grossesse et d'un enfant ?

 

Dans l'ensemble, nous nous estimons peu préparées. Nous ignorons ou nous oublions que la vie est liée à la mort, et qu'il nous faut composer avec les deux extrémités de la vie : naissance et mort. La durée de la vie varie, elle est parfois très brève. La représentation du métier de sage-femme n'est pas la mort.

Pistes de réflexion pour chacune d'entre nous : qu'est-ce que la mort ? Comment se situe-t-on soi-même sur ce sujet ?

 

 

Qui dit naissance, dit mise en lien, relation ...

Un enfant ne peut pas vivre seul, il s'insère dans une relation. Cette mise en lien se passe dans l'ordre du psychique, et l'on en sait peu de choses. Le psychisme n'existe pas sans le physique.

Il existe deux bouts dans la relation. Il faut deux attaches ... L'enfant s'attache à quelqu'un et vice-versa. Si l'enfant décède, le lien est lâché, mais d'un seul côté ... pas de l'autre.

Le deuil et le travail de deuil nécessitent alors implication et énergie. Le but du deuil est que le lien soit lâché des deux côtés, ce qui ne signifie pas oubli, mais possibilité de créer une nouvelle relation, de réinvestir un nouveau lien.

 

 

Les critères de deuil ...

- l'état « être en deuil »

- le signe « porter le deuil » (c'est fait pour être vu)

- le travail de deuil (c'est un processus, une production pour obtenir un résultat).

 

Il y a deuil lorsqu'il y a perte d'un « objet » qui a valeur pour une personne.

Or, la femme enceinte a valeur pour une sage-femme.

Donc, s'il y a décès, il y a rupture du lien pour la sage-femme et donc deuil ! (des idéaux, de l'imaginaire ...).

 

Ceci rend le métier difficile car nous sommes confrontées à l'accompagnement et donc à des questions auxquelles nous n'avons jamais réfléchi.

 

 

Que se passe-t-il pour la sage-femme dans ces situations ?

 

La confrontation avec la mort engendre une grande détresse, qui le plus souvent produit une réaction :

ð Évitement (comme pour tout stress, et comme tout le monde)

ð Envahissement (dans la vie professionnelle et privée) qui se traduit par une projection, c'est-à-dire qu'avec une nouvelle personne, la sage-femme aura un comportement qui est celui d'une situation passée. Ce comportement est donc inadapté et conduit à l'échec.

ð Épuisement

 

Les sages-femmes sont moins préparées que les infirmières à ces situations, car elles sont moins fréquentes. Dès lors, que pouvons-nous faire pour nous départir de ces réflexes liés à notre détresse et à celle des patientes ?

Chaque situation est une situation nouvelle, il n'y a donc pas de conduite-à-tenir pour gérer la détresse.

 

Il faut tout d'abord accepter que l'on ne puisse être que démunies. On n'aura pas réponse à tout. Il n'y a pas de repères médicaux. C'est donc une autre conception du travail. Il est impossible de raisonner uniformément, en conduite à tenir ! Nous sommes toutes à égalité dans ces situations.

 

Questions pour nous-mêmes :

- pourquoi est-ce difficile ?

- qu'est-ce que j'accepte ?

 

Notre émotion face aux parents ...

 

La communication entre la sage-femme et les parents s'effectue à deux niveaux : fonctionnelle (transmission d'informations médicales) et émotionnelle.

 

Différentes réflexions :

- ne pas charger les parents de notre émotion et de notre histoire

- être humain : que les parents sachent que l'on est directement touchée

 

Nos difficultés à communiquer viennent du fait que tout message est d'abord encodé (par celui que l'émet), puis décodé (par celui qui le reçoit). Ces codages et décodages dépendent de notre vécu... De plus, 93% du message est non verbal.

Communiquer, c'est donc manier le mal entendu. Quelle est la quantité d'information qui parvient ? 7 %. Les barrières à la communication sont les « filtres ». La perception est différente selon les personnes, qui ont des filtres différents. Quand on parle, on parle toujours un peu de soi : on n'est jamais en intime contact avec le réel, mais avec nos filtres. On ne peut donc pas être d'accord.

Le réel est toujours autre que ce que je perçois.

 

 

Une communication aboutie passe par trois étapes :

- je communique

- mon interlocuteur me comprend

- il me le signale

 

ð un cycle, trois étapes

Si l'on respectait toujours ce cycle, on commencerait à s'entendre.

 

En temps que professionnels, il faut différer son émotion et ainsi donner du temps à l'autre, puisque la priorité est de permettre à l'autre de se libérer de sa détresse.

 

Nous devons identifier notre capacité à différer, à ne pas dire nos émotions.

Il nous faut cependant livrer ailleurs nos émotions, pour également nous libérer.

 

La fonction de la sage-femme est de laisser de la place (dans le processus de deuil) pour que s'exprime la communication. Il faut être là, de quelque manière que ce soit, entendre ... ne rien dire ... laisser faire ..., tout en étant centré sur l'autre. Il est plus facile de vivre un deuil quand il y a quelqu'un en face pour écouter. Or, le plus souvent, l'autre écoute son propre brouhaha.

 

Compassion = je comprend

On peut donc pleurer en silence car on communique ainsi à l'autre que l'on comprend, sans lui impliquer notre émotion.

 

Mais il faut veiller à ce que différer soit bien différent de refouler !

Des groupes de travail, de réflexion, entre professionnels, peuvent être mis en place pour gérer les émotions.

 

 

Les étapes du deuil

Choc (non réceptivité absolue) ... attendre

Déni émotionnel (pas de communication) car la personne se sent menacée psychiquement et s'enferme.

Protestation (« ce n'est pas possible »), agressivité

Réaction favorable car cela signifie que la personne retrouve la capacité de se battre.

Laisser exprimer, être là, « je comprend ».

(NB. : ne jamais entrer en matière car pour la personne, c'est une façon de se protéger)

Tristesse, chagrin

Acceptation intellectuelle

(= vivre en paix avec, mais c'est inacceptable et ça le restera)

Acceptation globale

Nouveaux attachements

Possibilité de croître grâce à la recherche des significations

 

Pour cela, il faut du temps et il faut surtout quelqu'un en face qui écoute.

 

 

Comment nous préparer en pratique ?

Savoir qu'un événement peut resurgir longtemps après (lors d'une autre grossesse par exemple). Il nous faut préparer les réponses qui nous sembles opportunes dans certaines situations et donc s'investir pour une qualité de soins.

Cesser d'empêcher le deuil de se faire (en connaissant des différentes étapes).

S'aguerrir à ne pas être déstabilisées.

Apprendre à être présentes.

ð Nécessité de groupes de travail ...

 

Être là : Accompagner les gens là où ils sont, et non là où on voudrait qu'ils soient !

Donner la parole (9/10ème)

Prendre la parole (1/10ème) : pour aider à réaménager

 

 

Autre questions pratiques ...

Faut-il montrer l'enfant ?

Il faut proposer continuellement, car ce que la personne repousse, c'est d'être confrontée au réel.

Cependant, il ne faut jamais l'imposer. Il faut laisser la possibilité de le faire beaucoup plus tard, en ayant une photo dans le dossier.

 

Intérêt de l'anesthésie générale ?

Confronter à la réalité, éviter le déni ou l'incompréhension.

 

La culpabilité ...

Il faut surtout laisser l'exprimer avant de dire que l'on ne partage pas cette idée. De toute façon, c'est ce que la personne ressent : il ne faut pas la nier, mais l'écouter.

 

Que faire si l'on ne peut répondre à une question ?

On n'est jamais obligé de répondre à une question. L'essentiel est de faire comprendre que l'on a entendu la question ou l'inquiétude.

Savoir parfois différer la réponse pour en parler avant en équipe, afin d'avoir un discours cohérent.

 

 

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